
Ce drame a été connu du grand public surtout grâce au récit du célèbre Alphonse Daudet qui ne pouvait, à l'époque, bénéficier des éléments (lettres, documents, enquêtes, témoignages, recoupements, etc....) dont nous disposons aujourd'hui.
Depuis cette date maudite du 15 février 1855 (il y a 156 ans), les « Bouches de Bonifacio » ont acquis une bien sinistre réputation de « passage infernal » qui s'est transmise parmi des générations de marin. On dit même que la marine anglaise a délibérément évité, durant plusieurs dizaines d'années, ce passage étroit de 14 kms entre les deux grandes îles. Passage qui, soulignons-le, est emprunté chaque année par plus de 20.000 bateaux (commerce, transports divers, paquebots, plaisance) sans que l'on n'ait jamais plus (et c'est heureux), enregistré de naufrage aussi désastreux que celui de « la Sémillante.
Ce jour là soufflait dans le détroit, dès les premières heures du jour, une tempête d'une rare violence. Jamais plus depuis, et les statistiques sur ce point sont formelles, on en a enregistré de pareille.
Sur le récit de la catastrophe elle même, « La Corse » avait maintes fois eu l'occasion de l'évoquer. Nous nous bornerons simplement à rappeler le plus brièvement possible les faits.
14 février 1855.(sous le règne de Napoléon III, empereur des Français) Toulon. 11 heures. Forte brise variant de l'ouest à l'ouest sud-ouest. « La Sémillante » quitte le port en direction de la Crimée pour apporter aux Forces des armées turques, anglaises et piémontaises contre les Russes, des vivre et des renforts en troupes et en matériel. Son équipage était de 293 hommes outre son état-major. La « Sémillante »était un vaisseau de trois-mâts, formant l'une des plus fortes unités de la Marine de Guerre française. Sa première escale prévue était Constantinople.
La route la plus directe pour se rendre de Toulon en mer Égée passe par le sud Sardaigne, puis par le canal de Tunisie, le canal de Malte en direction du cap Matapan . C'est cette route qu'avait choisie le commandant Jugan, mais ce dernier fut contraint à cause des conditions défavorables à donner dans les bouches de Bonifacio pour atteindre rapidement la mer Tyrrhénienne et retrouver une zone relativement plus abritée à l'est de la Sardaigne.
Mais, on le sait, dans les "Bouches" régnait une épouvantable tempête (il s'agissait en réalité d'une sorte d'ouragan). Dans la ville de Bonifacio, de nombreux toits avaient été emportés, une maison s'était écroulée faisant un mort et deux blessés, un douanier de service avait été jeté à la mer et heureusement repêché sain et sauf. La violence de la tempête était telle que les embruns provoqués par le fracas des vagues Sutta Rocca passaient au dessus de l'isthme de Saint-Roch pour se déverser dans les eaux du port en dévalant comme un torrent la grimpette du Rastillu ! A une distance de deux lieues, la campagne avait été couverte de sel.
M.Francois Piras, maire de la ville à cette époque ancien capitaine au long cours affirmait qu'aucune frégate n'eut pu se présenter le travers (pour mettre en cape) dans de telles conditions.
Une cérémonie a lieu sur la place Manichilla qui domine le détroit. En effet comme dans toutes les tempêtes, il est d'usage à Bonifacio que le prêtre bénisse la mer avec le fragment de la vraie croix du christ. C'est l'abbé Rocca qui officie en présences de quelques fidèles seulement. Tous aperçurent d'une manière furtive à travers une nappe d'écume que formait le Détroit « un grand bâtiment semblable à une nébuleuse noyée dans les vapeurs de la mer, allant sans règle et sans conduite au gré des flots, au SUD-OUEST au NORD-EST, comme s'il eut eu des avaries dans son gouvernail ».
15 février 1855, Phare de la Testa. Sardaigne 11 heures.
Le chef du phare de la Testa aperçoit une frégate »dont il ne comprend pas la man½uvre » l'impression qu'il en a est que le navire, à sec de toile, qui vient du Nord –Ouest se dirigeant vers la plage de Reina Maggiore près du Cap Testa n'a plus de gouvernail. Il pense qu'il va se briser. Mais il voit la frégate hisser sa trinquette venir sur bâbord et donner dans les Bouches ou elle le perd de vue.
Poussée par la tempête d'Ouest sud-ouest, « La Sémillante » remonte trop au nord et vient se fracasser dans un bruit épouvantable, « un grondement large et sourd pareil à celui d'un tonnerre venant de sous terre » (perçu par un berger qui résidait sur l'île Lavezzi) sur l'îlot de l'Acciarino. Le choc, on s'en doute, est terrible, la panique à bord indescriptible. Un seul cri a du être poussé par sept cents créatures humaines s'abîmant à la fois dans les flots ! Certains marins et soldats sont morts broyés sur le coup, d'autres sont emportés puis rejetés contre les rochers et fracassés, certains tentent de nager mais ils sont vite submergés par les vagues énormes, gigantesques. Impossible, même à un excellent nageur de s'en sortir. La mer « veut » tout le monde.... Et aura tout le monde.
16 février 1855. Bonifacio 17 heures. Deux matelots de l'annexe n°2 de l'Averne indiquent qu'aux Lavezzi « un ou plusieurs bâtiments de guerre » ont du se perdre. Ils remettent à l'administrateur de la Marine, différents objets : carabines, sabres, pantalons, képis de soldats et d'artilleurs.
17 février 1855. Lavezzi.Le berger Limieri fait sa déclaration aux autorités venues de Bonifacio.
Le premier cadavre est découvert à plus d'un mille du lieu du naufrage. D'autre corps sont trouvés les jours suivants.
5 mars 1855. Lavezzi.
On découvre le corps du Commandant JUGAN (reconnu à ses insignes et à la difformité de l'un de ses pieds).
Du 5 mars au 20 mars 1855. Lavezzi.
Enlèvement des cadavres : cinq cent quatre vingt douze sur 685 victimes. Tous ont reçu une sépulture dans les deux cimetières marins.
D'avril à Août 1855. Lavezzi.
Une entreprise italienne est chargée de récupérer le matériel de « La Sémillante ». Ce matériel a été expédié à Toulon. Deux pièces provenant des restes de la frégate, un morceau de l'une des roues de la barre et de la figure de proue sculptée en plein bois en forme de feuille d'acanthe, seraient conservés par le musée de Bordeaux. A noter qu'une partie des madriers a été employée pour des travaux de construction de la route nationale 198 Bonifacio-Bastia, travaux exécutés par le service du génie militaire.
Certains Bonifaciens pourraient posséder de la vaisselle du bord (en étain probablement), d'autres ont en leur possession des boulets de canons ou bien des poulies.
Il y eut une souscription publique en faveur des familles des marins et des soldats victimes de la catastrophe. Au 8 juin 1855, celle-ci avait produit la somme de 60.000 francs .
L'empereur NAPOLÉON III et l'Impératrice avaient fait remettre la somme de 10.000 francs.
Un crédit d'entretien est alloue chaque année aux autorités militaires afin que les morts de la Sémillante ne soient jamais oubliés.
Et si un jour vous passez par là vous serrez pris dans cette ambiance vraiment très particulière qui se dégage de ces lieux.
Une lettre du 18 février 1855 (3 jours avant le drame) est adressée par le sous-préfet de l'arrondissement de Sartène au préfet de la Corse à Ajaccio. Le sous-préfet, sur la foi des premiers renseignements qui lui sont parvenus de Bonifacio émet la supposition que le navire qui avait sombré était la frégate « la Prudence ». En effet, les matelots de la chaloupe « l'Averne » avaient ramassé, entre autres, un ruban de chapeau de marin jeté sur le rivage et portant le nom de « Prudence ». Or il se trouvait qu' un marin de cette frégate avait été envoyé en renfort et au dernier moment sur "la Sémillante".
Une autre lettre du même sous-préfet(même destinataire) datée du 10 mars 1855 fait mention de cadavre trouvés à l'île Lavezzi dont il ignorait cependant le nombre « personne n'étant encore revenu de Lavezzi ». Le sous-préfet fait état de cadavres découverts à Bonifacio (Sutta-Rocca et à l'entrée du port) et même beaucoup plus loin : « Le conducteur de la diligence, Podesta, a déclaré que trois cadavres avaient été trouvés dans les parages de Prunelli, près de Cervione et que parmi ce nombre on aurait reconnu un officier du bord qui avait encore une épaulette.
Dans une autre lettre du 19 mars 1855, le sous-préfet de Sartène écrit que deux cadavres n'avaient pu être repêchés en raison du mauvais état de la mer et que l'on a du les abandonner...
Voici un autre passage de cette lettre : « Parmi les cadavres que l'on trouve actuellement, presque aucun n'est entier. Aux uns il manque le bras, aux autres une jambe, les pieds etc....
Le sous-préfet « étant en congé » c'est le conseiller d'arrondissement Pietri qui fait mention d'un rapport lui ayant été adressé de Bonifacio par le commissaire de Police Porri dans lequel ce dernier écrit que « les cadavres qui ont été enterrés à Lavezzi n'ont pas été placés dans des fosses assez profondes, ce qui occasionne une infection telle que les bergers sont obligés de quitter l'île avec leurs troupeaux.
En 1856, les deux cimetières ont été entourés de murs en maçonnerie par les soins du Génie militaire. En même temps était construite la chapelle funéraire du Furcone. La tombe du commandant Jugan est recouverte d'une dalle tumulaire qui porte une plaque avec des inscriptions.
En 1878 la chapelle construite dans le cimetière du Furcone était consacrée sous le vocable de N.-D. du Mont Carmel.
Sur la terre ferme à Bonifacio a été érigée il y a quelques années, une stèle près du cimetière Saint-François dédiée aux morts de la Sémillante et de tous les disparus en mer.
(Les photos sont de Toto Palmas (en haut) et Alex Rolet (en bas))
canonici, Posté le lundi 23 décembre 2019 10:36
mazzapatricesosovic@gmail.com a écrit : "
"Je suis preneur si vous voulez me les envoyer à mon e mail ange.canonici@orange.fr
Cordialement