Les années 1920 : c'était le temps des bornes-fontaines (pour ceux qui l'ont connue, précisons que la jeune femme baissée près de la fontaine est la regrettée Rusina Bianchini) (Coll.person. FC)
Pour notre part nous publions ci-après un extrait d'un de nos articles consacré à ce sujet...
Au début du 20 ème siècle, les campagnards bonifaciens ("I Pialinchi"), remplissaient, en rentrant le soir de la campagne, un ou deux barils (Bariloti) de 12 à 15 litres à la Fontaine de Longone (là où se trouve aujourd'hui la caserne des Pompiers) mais une carte postale ancienne montre aussi des femmes portant des récipients d'eau sur la tête. Deux autres fontaines étaient également utilisées: l'une située à la Senola, à proximité du Centre nautique, que l'on actionnait à l'aide d'une pompe à main et qui comportait aussi un bel abreuvoir (comme à Longone) pour les bêtes (ânes, mulets, chevaux). L'autre se trouvait à la Marine dans le quartier Saint Erasme (face au Tabac Simoni).
Les citadins disposaient aussi d'un service de livraison d'eau potable à domicile au moyen de charrettes tirées par des mulets, chacune d'elles pouvant transporter une quinzaine de barils d'environ trente litres. Certains porteurs d'eau chargeaient les bariloti sur leurs ânes. Le baril était vendu 2 sous rendu à domicile. Tout comme le bois dont on a parlé plus haut, Il fallait parfois monter l'eau jusqu'au 4ème ou cinquième étage!
Les Bonifaciens d'un certain âge (comme vos grands-parents) se souviennent du temps où il fallait aller chaque jour "charrier de l'eau" pour les besoins familiaux et ce, jusqu'au début des années 1960.
C'était, en même temps qu'une "corvée", un véritable plaisir. En effet les seaux d'eau étaient lourds et les escaliers raides comme on sait, mais c'était aussi, autour de ces mêmes fontaines que l'on bavardait, que l'on rigolait, que l'on jouait, que l'on rencontrait les copains et les copines. En effet, les fontaines publiques étaient souvent des "points de ralliement" pour les jeunes gens, des lieux de rencontre. C'est pourquoi, beaucoup de ces jeunes gens ne rechignaient jamais à la tâche, ce qui ne devait pas manquer, parfois, d'étonner leurs parents ! A ce stade là, "charrier de l'eau" constituait une occasion, un prétexte de sortie...
Le témoignage ci-dessous est un peu moins romantique: "Tous les jeudis, alors que les enfants des familles aisées allaient jouer à la Loggia ou dans les ruelles, moi, je devais approvisionner en eau, d'abord un vieil administrateur des colonies en retraite (qui habitait au cinquième étage) et ensuite une dame qui habitait dans un autre quartier, mais fort heureusement, au deuxième étage.
Toute la matinée, parfois aussi une partie de l'après midi, je transportais mes seaux d'eau, remplis à la Fontaine d'in Guardia (place d'Armes)ou di "u Stradun" (rue Fred Scamaroni). Ces seaux, assez lourds pour mon jeune âge, pendaient de mes bras maigres et, tout au long du parcours immuable, je traçais un "sentier" délimité par les "lâchures" d'eau intermittentes qui tombaient des récipients trop pleins. Parvenu à l'appartement, après avoir gravi des escaliers interminables, je vidais mes fardeaux dans d'énormes jarres, précédemment destinées à l'huile, qui semblaient ne jamais remplir. De véritables tonneaux des Danaïdes1! La corvée terminée, je repartais, fourbu mais riche de quelques sous qui cliquetaient dans ma poche. Puis je recommençais la même opération chez mon autre "client"....Et cela dura plusieurs années. Certains appellent cette période "le bon vieux temps".
Autre témoignage: "Lorsque nous étions enfants, nous attendions le passage des petites filles pour les asperger en plaçant notre main sur le bec de la fontaine tout en actionnant le mécanisme. Cela nous faisait beaucoup rire sur le moment. Mais parfois les "victimes" se vengeaient. Elles prenaient leur temps et un jour où l'autre, alors que nous ne nous y attendions pas, nous subissions le même sort..."
Ou bien "Moi, pour me faire quelques sous, je n'acceptais d'approvisionner que les personnes dont l'appartement était muni d'une poulie. Dans la rue, j'accrochais le seau à la corde, je tirais, et, là haut, au 3ème, 4ème ou 5 ème étages, quelqu'un le réceptionnait et le vidait. C'était tout de même moins fatigant que de grimper les escaliers vertigineux...".
Et encore: "Avec mes frères et soeurs, nous établissions des "tours" pour la corvée d'eau: un jour toi, un jour moi, un jour lui etc.
Les maisons bonifaciennes étaient toutes pourvues d'une évacuation reliée à l'égout de la rue (car Bonifacio était doté d'un réseau d'égouts depuis le XIII° siècle et était donc, largement, en avance sur la plupart des autres localités importantes de l'île). Ces évacuations, il faut bien le dire, n'étaient que des orifices, placés le plus souvent, en façade, près d'une fenêtre (parfois même dans le portail). C'est dans ces "trous" que l'on vidait les eaux usées et de toilette...
Car les cabinets d'aisance (les WC actuels), jusque dans les années 1950 et au début des années 1960, n'existaient pratiquement pas. On se servait de seaux hygiéniques que les mamans vidaient ensuite dans les orifices décrits plus haut... en prenant bien soin de ne rien laisser déborder. Car alors des gouttes pouvaient atteindre des passants dans la rue (cela est arrivé quelques fois!). A la Marine c'était encore pire. Chaque matin, les femmes devaient vider ces mêmes seaux dans ...les eaux du port où ils étaient rincés! Parfois sous l'oeil goguenard des touristes!
Ce n'est qu'entre 1960 et 1962 que l'eau potable allait être progressivement installée dans les appartements (fin 1962, il y avait déjà 600 compteurs installés dans les portails). Une station moderne de pompage des eaux fut installée à la Senola refoulant l'eau dans les réservoirs de la Bella-Catarina. De là, elle revenait, par gravitation dans une canalisation descendant par Campu Rumanillu vers la ville et la Marine.
Quel plaisir de pouvoir prendre des douches ou des bains alors que, jusque là, on se lavait (plus ou moins bien) dans des bassines, des cuvettes... D'autre part, finis les seaux hygiéniques et les déversements folkloriques dans les orifices en façade ! Petit à petit les foyers disposèrent de WC pratiques et fonctionnels. Mais pour beaucoup c'était encore un luxe et de nombreuses personnes durent attendre quelque temps pour en bénéficier.
Mais alors que l'on aurait pu s'estimer satisfaits d'avoir supprimé la corvée de l'eau (qui, désormais coulait à tous les robinets) et de bénéficier des bienfaits de l'ère moderne, des problèmes sérieux n'allaient pas tarder à se présenter, notamment l'été venu, avec le développement du tourisme et celui de l'agriculture.
C'est alors que naquirent plusieurs projets et que l'on construisit des barrages: barrage de l'Ospedale (3.000.000 de m3); barrage de Figari (près de 6 millions de m3 ). L'eau que vous consommez aujourd'hui, avec laquelle vous prenez des douches, des bains, et avec laquelle votre papa arrose son jardin, provient de ces barrages après passage dans une station de traitement des eaux pour la purifier.
Espérons que nos fontaines et sources (du moins ce qu'il en reste) puissent subir le même heureux sort. Je pense, notamment, à celle de Pater Noster (en bordure RN 198 face au croisement de la Tonnara) qui mériterait d'être remise en état. Des travaux de débroussaillement ont été effectués par un bénévole ami de ce Blog (J.P Tramoni et son neveu). Il s'agira à présent de procéder à la restauration des pierres formant la voûte dont une partie est tombée, victime du vandalisme. Un aménagement du site est également prévu ainsi que nous l'a précisé M. Toussaint Sorba, 1er adjoint au maire de Bonifacio.
Une région aussi sèche et aride que Bonifacio ne peut se permettre de négliger les quelques points d'eau qui lui restent encore et qui ont droit à toute notre sollicitude. C'est pourquoi il faut sauver ce qui peut encore l'être.
"Les sources, c'est comme les belles filles, si tu les délaisses, elles s'en vont ailleurs et ne reviennent plus" écrivait le grand Marcel Pagnol dans "Manon des Sources.
Visiteur, Posté le mardi 30 juillet 2013 12:47
tres interessant. je suis quand meme en recherche d articles scienzifiques qui traitent la gestion des eaux a Bonifacio a l epoque. est ce que ca existe? merci de me faire savoir. email : risch (aet) sunrise (point) ch